Ochagavía, pittoresque village
de la vallée du Salazar
Je vous propose aujourd'hui de franchir les Pyrénées pour aller parcourir le joli petit bourg d'Ochagavía (676 habitants). Considéré (à juste titre) comme le plus beau village des Pyrénées Navarraises, il est caractérisé par son environnement naturel, son pont médiéval, ses maisons alignées le long du torrent, ses rues empierrées...
Entouré de montagnes couvertes de forêts millénaires, traversé de ríos aux eaux cristallines, fort de son histoire et de ses traditions, Ochagavía constitue une étape de charme entre Pampelune (capitale de la province dont il est distant de 85 km) et Pau.
Ochagavía est un village de fond de vallée, situé à 764 mètres d'altitude, au pied de deux sierras (montagnes) importantes : Irati et Abodi...
La Sierra de Irati couvre plus de 17 000 hectares et constitue la zone forestière la plus étendue de la péninsule ibérique. Si l'on rajoute la partie française (qui s'écrit alors Iraty), on obtient la forêt de hêtres la plus vaste d'Europe !
La Sierra de Abodi quant à elle s'allonge entre Irati et le pic de Orhi (2 021 mètres d'altitude, sur la frontière, et premier sommet pyrénéen occidental supérieur à 2 000 m). Couverte de pâturages et de forêts, elle reçoit des précipitations abondantes, sous forme de neige en hiver.
Cette zone naturelle difficile d'accès en raison de l'absence de routes la pénétrant, abrite un réseau important de sentiers de randonnée se transformant pour certains en pistes de ski de fond dès que tombent les flocons...
En plein coeur de la partie espagnole de la forêt, s'étale le lac artificiel d'Irabia,
(87 hectares) résultant de la construction d'un barrage en 1921. C'est un endroit d'accès très difficile (seules de longues pistes sinueuses et non asphaltées y conduisent), donc isolé au milieu d'immenses massifs forestiers.
Comme tout endroit qui se mérite, ses abords entièrement boisés sont très agréables, et un réseau de chemins forestiers (interdit aux véhicules) permet d'effectuer le tour de cette bucolique retenue en forme de V, car constituée de deux longs bras liés aux torrents qui l'alimentent.
Les maisons de Ochagavía s'étirent de chaque côté du río Anduña (issu de l'est de la contrée), qui va s'unir à la sortie aval du village avec le río Zatoya (provenant de l'ouest). Leur confluence va constituer le río Salazar, rivière importante des Pyrénées Navarraises, qui a donné son nom à la vallée que nous parcourons aujourd'hui.
Un pont médiéval à deux arches, dont la chaussée est empierrée, enjambe le río Anduña. Il est le plus ancien des trois ponts du village et permet de réunir les quartiers sis sur les deux rives opposées du torrent.
En amont du village, une petite retenue sur le río Anduña constitue une zone de baignade très recherchée en été, bordée par une belle prairie assaillie à l'heure du pique-nique... ou de la sieste !
Les maisons sont caractéristiques de l'architecture montagnarde navarraise : murs bâtis en solides pierres du secteur, nombreuses structures en bois, toits à 2 ou 4 pentes fortement inclinées et couverts de tuiles plates.
Nombreuses sont les maisons dont la façade est ornée d'un blason (concédé par le roi Felipe II aux habitants de l'époque), dont le centre est occupé par la représentation d'un loup.
D'où, pense-t-on, l'origine du nom de la localité qui pourrait signifier "repaire de loups" (Otso(a) = loup ; gabia ou kabia = nid). Rien de surprenant à cela, tant cette zone difficilement pénétrable était infestée par ces carnassiers jusqu'au début du siècle dernier...
On pénètre dans ces maisons traditionnelles navarraises (comme dans d'autres régions d'Espagne), par une large porte constituée souvent de deux battants (autrefois les charrettes devaient pouvoir y entrer) et l'on accède dans un hall. Ce vestibule (recíbidor) est en quelque sorte une "vitrine" de la maison.
C'est en effet dans cette pièce que l'on reçoit les gens pour de courtes visites, et elle doit laisser une bonne impression au visiteur. Adaptée au niveau social du propriétaire, elle comprend souvent une banquette et un coffre (ou une armoire) en bois plus ou moins ouvragés. Elle est décorée de divers tableaux ou objets liés au passé de la "casa" (maison).
De là on accéde aux pièces du rez de chaussée (cuisine, salon,...) et un escalier conduit aux chambres. Remarquer sur la photo la réalisation du sol en petits galets de rivière...
Sur la rive droire du río Anduña, les rues, dont le revêtement est réalisé à partir de pierres grossièrement assemblées, convergent telle une toile d'araignée vers l'église San Juan Evangelista. Certaines parties datant du XIème siècle illustrent l'ancienneté du village.
Elle a ensuite été modifiée aux XVI et XVIIème siècles, desquels elle conserve un rétable de style renaissance, des fauteuils ceinturant le choeur en bois sculpté ou de riches pièces d'orfèvrerie.
San Juan Evangelista est le co-patron du village, qui se célèbre le 27 décembre, en même temps que l'arrivée de "Olentzero" : personnage un peu grotesque (souvent représenté sous les traits d'un charbonnier sale et grossier) faisant son apparition au moment de Noël ! Lors de la fête, mannequin de paille et de chiffons, il est promené sur des brancards de maison en maison...
A trois kilomètres d'Ochagavía, sur une montagne (1 025 m) qui domine le village, se trouve le Santuario de Nuestra Señora de Muskilda, auquel on peut accéder par un sentier de randonnée ou par une petite route sinueuse. C'est une chapelle romane du XIIème siècle qui a été modifiée au milieu du XIIème.
Son premier niveau rectangulaire est surmonté par une tour couverte d'un toit conique. Elle est entourée par un mur d'enceinte qui englobe également une maison destinée à un chapelain et à un ermite.
Elle fait l'objet d'un pèlerinage chaque 8 septembre et accueille les "Danzantes", groupe de 8 danseurs vêtus de costumes typiques, qui y exécutent une série de danses (avec bâtons ou foulards, puis "jota" traditionnelle) en souvenir des évolutions guerrières des temps pré-chrétiens.
Les fêtes "Patronales" d'Ochagavía commencent le 7 septembre et s'étalent sur cinq jours. Elles constituent l'une des traditions les plus anciennes des Pyrénées Navarraises. Elles sont lancées vers midi par le traditionnel "chupinazo".
Pour l'occasion on sort les quatre "géants" (los Gigantes) qui se rassemblent avec les villageois sur une toute petite place située sous les fenêtres de l'hôtel de ville.
Les géants sont constitués d'une armature légère en bois et en métal, recouverte de "vêtements" et accessoires qui vont représenter quatre personnages caractéristiques de la localité.
Une "béquille" en bois permet de poser le personnage sur le sol lors des pauses, le porteur pouvant ainsi souffler quelques instants... A noter la parfaite parité règnant dans le groupe !
Un(e) représentant(e) de la municipalité effectue une courte intervention depuis le balcon de l'Ayutamento (Mairie), reprise à pleine voix et dans une belle unanimité par les habitants qui s'investissent en nombre et de façon dynamique dans l'animation de ces "fiestas".
Le coup d'envoi des festivités est véritablement donné par le lancement de plusieurs pétards, fixés chacun sur un morceau de bois mesurant un bon mètre. Après allumage, ils vont monter vers le ciel, laissant un sillage blanc au-dessus des maisons pour exploser ensuite d'un bruit sec et court répercuté par l'écho des versants de la vallée.
Alors que se répand l'odeur de poudre brûlée, l'orchestre attaque une série de morceaux de musique navarraise entraînante sous le porche de la Mairie. Ensuite l'ensemble de la population accompagne géants et musiciens à travers les rues du village jusqu'à la place centrale où se termine* la première partie de ces festivités.
Le son aigrelet des "flûtes" accompagné par les tambourins résonne entre les façades des maisons ou contre le mur du fronton. Les enfants endimanchés se rabattent sur les quelques petits stands de forains ayant investi la place alors que les parents se regroupent plutôt autour de la buvette de plein air.
Enfin, *"se termine"..., pas tout à fait ! Car les musiciens vont aller jouer dans les bars et cafés du bourg pour animer l'apéritif et la dégustation de tapas, profitant de l'occasion pour se rincer le gosier aux bons soins du patron...
C'est donc le lendemain que les "Danzantes" entreront en scène lors des festivités en l'honneur de la Vierge de Muskilda, au milieu des quels évoluera El Bobo, arlequin masqué aux deux visages !...
Il va êttre temps de quitter Ochagavía pour regagner la France... Avant de partir, jetons tourefois un dernier regard vers ce village que nos ancêtres ont failli rayer de la carte ! En effet, en 1 794, pendant la guerre de la Convention, les Français envahirent l'Espagne et au passage brûlèrent une grande partie de la localité...
Furent ainsi détruites 182 maisons, 52 fermes et une chapelle qui se trouvait à mi-pente au-dessus du village. Au milieu du XIXème siècle, tout le bourg était reconstruit au même endroit. Mais les traditionnelles toitures en bois furent remplacées par des tuiles.
Ce village a toujours été orienté vers l'agriculture et l'élevage du bétail, et ce depuis le Moyen-Age. Toutefois le bois n'était pas considéré comme source de revenu, et n'était utilisé que pour la construction ou les besoins domestiques.
Paradoxalement, à cette époque-là, le bétail transhumait, mais à l'envers...
Au lieu de gagner les estives de montagne, il descendait au contraire vers la plaine navarraise et seuls les cochons gambadaient sur les prairies locales.
Le village arrivait ainsi à vivre en parfaite autarcie avce son moulin, sa tuilerie, son atelier de traitement des peaux et sa fromagerie...
Pour rejoindre la France depuis Ochagavía, il suffit de remonter la vallée du río Anduña. Le passage de la frontière s'effectue au Port de Larrau (1 573 mètres d'altitude), sur les pentes du Pic d'Orhi. Malheureusement ce jour-là il ne sera pas visible car le brouillard s'est installé sur les crêtes frontalières.
Comme cela se produit fréquemment, les sommets des Pyrénées bloquent la masse nuageuse et donc le mauvais temps qui règne côté français, le versant espagnol bénéficiant d'un bel ensoleillement...
La route s'élève progressivement, offrant de beaux panoramas sur la Sierra de Abodi située en contrebas. On atteint bientôt la station de ski de fond de Abodi, et la forêt cède alors la place aux pâturages d'altitude. Côté français on descend sur la région de la Soule, tout en slalomant au milieu des troupeaux qui ont envahi la route sans doute en raison de la brume épaisse qui les entoure !...