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Bages, dans le sillage de l'anguille

1 : sur les rives de l'étang

Jadis, Narbonne était située au fond d'un golfe du littoral Méditerranéen. Actuellement, la ville se trouve à une dizaine de kilomètres de la côte, et son ancien golfe est occupé par une série d'étangs parsemés d'îles, parmi lesquels l'étang de Bages et de Sigean.

Une étroite bande de terre, un lido, sépare ces lagunes de la Méditerranée et ces dernières communiquent entre elles par d'étroites passes : les graus.

Plusieurs villages occupent les rivages de l'étang, et la population vit en partie de ses ressources : pêche, tourisme, exploitation du sel.

Une fois franchi le péage de la sortie 28 de l'autoroute à hauteur de Narbonne, il suffit de quelques minutes pour rejoindre l'étang de Bages, après avoir traversé quelques parcelles d'une zone artisanale.

Le point de départ de la balade s'effectue à Port La Nautique, petit hameau qui abrite un port de plaisance dont le premier bassin a été construit en 1907 par la société nautique de Narbonne, l'une des plus anciennes de la côte méditerranéenne.

On se trouve sur la côte nord-est de l'étang, et quand on regarde en direction du sud au-delà des tamaris, on aperçoit sur la rive opposée la silhouette du village de Bages, but de la randonnée.

C'est sur une piste sablonneuse longeant l'étendue d'eau que nous allons évoluer, et contourner dans un premier temps l'Anse de Galère qui constitue l'extrémité nord de l'étang.

La portion de trajet sur laquelle nous nous engageons représente l'une des étapes du Sentier du Golfe Antique, long de 70 km, qui effectue le tour de l'étang de Bages-Sigean.

Nous nous trouvons à l'intérieur du Parc Naturel de la Narbonnaise, récemment créé. Le chemin se faufile au milieu des roselières et des sansouïres, espaces naturels qui doivent s'adapter à la variation du niveau de l'eau et à sa forte salinité.

Quelques petits cours d'eau descendant des collines avoisinantes, souvent intermittents, tel ici le ruisseau de Saint-Christophe, apportent à l'étang sédiments et éléments minéraux ou nutritifs.

Parfois un petit sentier s'ouvrant à travers les roseaux permet d'escalader une petite falaise calcaire afin d'élargir le point de vue, ou d'accéder au bord de la lagune sur un sol souvent spongieux.

Ces petits belvédères naturels proposent alors un paysage de carte postale, avec les Pyrénées (et les 2784 m du célèbre Canigou catalan) encore enneigées en toile de fond.

Par endroits, quelques bosquets de pins nous rappellent que nous sommes dans un pays de vents souvent violents : le cers ou tramontane, vent sec et dominant du nord-ouest présent 200 jours par an en moyenne, ainsi que le marin (du sud-est) souvent source de précipitations. Ils constituent le moteur de l'étang en raison de leur influence sur son eau (selon leur orientation, ils peuvent vidanger ou remplir l'étang).

La tradition de pêche sur l'étang existe depuis l'antiquité, et se perpétue avec des techniques qui ont peu évolué. C'est une pêche artisanale, pratiquée avec des barques légères (les "bétous") où les moteurs ont remplacé les voiles ou les avirons d'autrefois.

Les poissons sont pris au moment de leurs déplacements ou migrations, à l'aide de filets baptisés "trabacs" ou "trabaccous", dont les petites mailles permettent la capture des anguilles.

Ces longs filets sont tendus perpendiculairement aux berges entre des piquets, et canalisent les poissons vers des nasses que le pêcheur va relever plusieurs fois dans la journée.

Outre les anguilles, l'étang regorge également de dorades, loups (ou bars), soles et mulets (ou muges), pour se limiter aux principales espèces que l'on retrouvera au menu des bonnes tables des environs...

En arrivant sur la rive droite, on peut apercevoir à quelques dizaines de mètres de la rive, plusieurs colonies de flamants roses fréquentant des zones peu profondes de la lagune.

Ces flamants restent sur l'étang à l'année, comme le goéland ou l'aigrette garzette. La mouette, le grand cormoran ou le martin-pêcheur n'y séjournent qu'en hiver.

Certaines espèces telles que le gravelot ne s'y aventurent qu'au moment de la reproduction, alors que d'autres n'y font escale qu'au cours des migrations d'équinoxe.

Ils vont trouver dans l'eau la nourriture nécessaire à leur développement : alevins de poissons, vers ("escavènes"), crabes des estuaires ("cranquets"), mollusques divers (moules, palourdes, clovisses),...

En se dirigeant vers le petit hameau des Pesquis, le chemin s'éloigne quelque peu des rives de la lagune pour se faufiler au milieu des vignes. Dans cette région, les ceps ont quasiment les pieds dans la mer !...

Nous sommes dans le vignoble des Corbières, dont l'aire de production s'étend entre le fleuve Aude, les contreforts pyrénéens et la Méditerranée.

Tout autour de l'étang de Bages, plusieurs domaines ou caves coopératives produisent d'excellents crus, les embruns maritimes apportant l'humidité nécessaire à la maturité du raisin.

La vigne occupe les coteaux et collines calcaires, voisinant avec la pin d'Alep, le cyprès et les plantes arômatiques de la garrigue.

A l'approche de Bages, le sentier redescend vers la lagune, et l'on devine à contre-jour la silhouette du village qui se dresse et s'étire sur sa falaise. Le rocher supportant les habitations constitue comme une presqu'île qui s'avance à l'intérieur de l'étang.

La commune compte 755 habitants, son cadre agréable favorisant l'augmentation régulière de la population depuis un demi-siècle.

Le secteur est habité depuis le paléolithique inférieur, et c'est sous l'occupation romaine que le bourg se développa : de nombreux lots de terre autour du golfe étaient distribués à des vétérans fortunés qui y construisirent des villas luxueuses.

On arrive sous le village, sur une très étroite bande de terre qui s'insinue entre le rocher et l'étendue d'eau. Le premier contact avec Bages s'effectue donc par l'intermédiaire de son petit port.

Un endroit agréable avec ses cabanes de pêcheurs, ses pontons en bois qui s'avancent dans l'étang, ses petites barques amarrées, ses nombreux filets qui sèchent sur de sommaires portiques implantés à même l'eau.

Nullement gênés par cette présence humaine rapprochée, plusieurs groupes de flamants ont pris possession de l'anse abritée qui s'est creusée au nord de la falaise.

Débarquant en même temps que nous, nous retrouvons le pêcheur que nous avions aperçu au début de la randonnée sur l'étang.

D'ailleurs, un petit camion réfrigéré l'attend sur le petit parking du port...

Le temps d'immobiliser provisoirement son embarcation sur le sable, voilà la pêche de la matinée qui va changer de mains...

 

La bourriche frétillante est pesée à l'aide d'une ancienne balance romaine, puis est déversée dans l'une des cuves du fourgon, qui les déposera chez un grossiste de la région.

"- Non, non... La pêche n'a pas été terrible ce matin ! Très, très moyenne...". Alors, peut-être sera-t-elle meilleure ce soir ?...

2 : le village

Après avoir erré sur le pourtour de l'étang de Bages-Sigean, situé dans le Parc Naturel régional de la Narbonnaise, je vous invite à partir maintenant à la découverte du village de Bages (755 habitants), situé au nord de la lagune, sur sa rive ouest...

Même si l'étang est situé entre 2 voies de circulation au trafic important, ses abords respirent le calme et la tranquillité ! Il constitue l'une des rares zones lagunaires du Languedoc-Roussillon qui ait conservé son cachet, n'ayant pas subi les assauts d'une urbanisation demesurée. Au premier plan, l'étang de Bages, au fond la Méditerranée, et entre les deux l'étang de l'Ayrolle...

Si l'on tourne le dos à la Méditerranée très proche, on peut observer l'agréable décor que propose le site : au premier plan, les filets de pêche ; en bordure, la garrigue entrecoupée de vignobles ; au fond, les montagnes des Pyrénées orientales dominées par le Canigou ; et, entre les 2, le Massif de Fontfroide dont plus de 800 ha ont brûlé fin août...

C'est après l'époque romaine que le village de Bages s'est installé sur un éperon rocheux qui dominait jadis le Golfe Antique et l'ancien estuaire de l'Aude (remonté depuis plus au nord). Auparavant, de riches "villaes" octroyées aux vétérans des armées romaines occupaient la plaine voisine...

En partant du petit port du village (où nous reviendrons en fin de balade), il faut donc monter pour accéder au centre de ce sympathique bourg. Pour le découvrir, nous allons suivre "le sillage de l'anguille", circuit de découverte initié dans le cadre du Parc Naturel de la Narbonnaise...

 

Les escaliers empruntés débouchent sue la place de juin 1907, ainsi baptisée en hommage aux viticulteurs tués à Narbonne lors d'une manifestation sanglante qui était destinée à sauver la viticulture. On distingue à gauche la porte du cadran solaire...

Cette porte fut pendant longtemps la principale entrée du vieux village fortifié. Le cadran solaire qui la surmonte fut vraisemblablement offert par Louis XIII afin de remercier les habitans d'avoir accueilli des soldats blessés de retour de la guerre d'Espagne...

Tout en haut du village, l'église Saint-Martin fut construite au XIème siècle, à côté de l'ancien château. Le clocher surélevé permettait aux pêcheurs, grâce au son de sa cloche, de retrouver le chemin du village lorsque le brouillard envahissait l'étang...

Depuis ce point culminant du village, on a une belle vue sur la partie nord de l'étang, et notamment sur Narbonne, dont on reconnaît la silhouette imposante de la cathédrale Saint-Just. Narbonne fut la première colonie de Rome en terre gauloise et capitale provinciale de l'empire romain...

Le parcours est jalonné de plaques en céramique décrivant les secteurs patrimoniaux majeurs, et deux tables panoramiques permettent de lire le paysage et de repérér les principaux sites voisins. Ici, une vue aérienne du village de Bages, coincé entre vignes et lagune...

A l'intérieur du vieux village, dans le quartier médiéval, on emprunte des rues aux noms évocateurs : du cadran, du castel, des pêcheurs, des anciens moulins, du cers (vent côtier),... Les maisons sont le plus souvent en pierre calcaire et crépies à la chaux...

La rue des remparts conduit à un nouveau belvédère, situé en bordure de falaise, dégageant une nouvelle vue sur l'étang. L'anse des galères aurait abrité la construction de navires destinées à une croisade qui ne vit jamais le jour. Derrière, le massif de la Clape provient d'une ancienne île rattachée au continent par les alluvions de l'Aude...

Vers l'ouest, les flamants roses occupent une petite baie tranquille aux portes même du village. Les collines calcaires ont vu au XIXème siècle la multiplication des terrains viticoles, provocant la disparition des oliveraies, du pastoralisme et des champs de céréales...

Accolées les unes aux autres, les constructions s'étagent et s'emboîtent en respectant la topographie du site, lui donnant cet aspect pittoresque. Ces rues étroites, courtes, tortueuses et fortement pentues laissent toutes entrevoir un petit bout d'étang...

Le développement de la vigne a entraîné l'agrandissement du village, par la construction de bâtiments directement liés à la viticulture, qui intègrent tou à la fois caves ou chais et lieux d'habitation. Ces maisons sont reconnaissables à leurs larges portes charretières arrondies...

A la fin du XIXème s, la source d'approvisionnement se situait à plus de 2 km du village. En 1879, un géologue mit en place une pompe actionnée par un moulin à vent qui acheminait l'eau vers réservoir, fontaine et lavoir. Celui-ci, construit en 1881, servait aux petites lessives...

En redescendant sur les berges de l'étang, on s'aperçoit bien que Bages est un village qui a des accents du sud ! Ciel bleu dégagé par les vents régionaux, façades blanchies, végétation luxuriante : palmiers, tamaris, bougainvilliers, oliviers, lauriers-roses, pins d'Alep, pistachiers...

Un parcours de découverte des marais a été mis en place au pied du village. En alternant marche sur la terre ferme ou sur des passerelles de bois juchées sur pilotis, on peut pénétrer dans les zones humides et apprécier la richesse et la diversité de la faune et de la flore locales...

De nombreuses colonies de flamants roses se sont appropriées les secteurs peu profonds de la lagune, et la proximité immédiate des habitations ne les perturbe pas. Trouvant dans l'eau de quoi subsister en toutes saisons, ils passent toute l'année sur l'étang...

Les abords de la lagune, peu profonds, sont essentiellement composés de roselières (là où l'eau douce prédomine) ou de sansouïres. Ces dernières abritent des espèces végétales adaptées à une forte teneur en sel, et notamment les salicornes à partir desquelles les Romains fabriquaient une sauce salée (le "garum") proche du nuoc-man...

Le port de Bages, à l'image du bourg, respire la simplicité : une esplanade en terre battue et deux pontons (déjà anciens) qui s'avancent sur la lagune. La prud'hommie des pêcheurs de Bages a été créée en 1801, et règlemente toujours la pêche sur l'ensemble de l'étang...

Outre les flamants roses, d'autres oiseaux vivent à l'année sur l'étang : goélands, tadornes, aigrettes, sternes, avocettes, busards. L'hiver voit arriver mouettes rieuses, grands cormorans, ou martins-pêcheurs. Gravelots et foulques macroules viennent s'y reproduire. D'autres y stationnent lors des migrations...

La pêche à l'anguille est dominante, tout en restant artisanale, et une trentaine de pêcheurs s'y adonnent. Ils utilisent pour cela des barques légères à fond plat, et des filets à petites mailles, les "trabacs". Loups (ou bars), mulets, dorades sont également très prisés des pêcheurs amateurs...

Les filets sont tendus perpendiculairement aux berges entre des piquets. Ils canalisent les poissons vers des nasses disposées en triangle ; celles-ci sont vidées une fois par jour. En septembre, avant la migration des poissons vers la mer, des barrages sont installés sur l'étang permettant la capture d'une moitié d'entre eux...

Alors, si vous venez flaner dans les ruelles de Bages, n'hésitez pas à faire une halte à l'une de ses bonnes tables pour y déguster la spécialité locale, la bourride d'anguilles "à la bageot". Autrefois plat du pauvre, il se mijote à partir d'une sauce épicée et s'accompagne de pommes de terre et de pain grillé...

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