Brouage, ce grand port privé d'océan...
Grandeur et décadence...
Plus grand port de la côte atlantique au Moyen-Age (Brouage étant à l'époque la capitale européenne du sel), puis place forte de cette même façade maritime sous Richelieu, ses fortifications ont été renforcées par Vauban et ont abrité "des" amours de Louis XIV : cette cité glorieuse déclina progressivement à la fin du XVIIème siècle...
Le bourg fut d'abord victime des guerres de religion.
Condé le protestant assécha son port en y faisant sombrer 21 vieux navires chargés de sable et de roches. Après la bêtise des hommes, c'est la nature qui porta inéluctablement son coup fatal : toute la zone s'envasa naturellement, et les eaux océaniques refluèrent pour laisser place à des marais...
Il reste de nos jours une petite cité fortifiée posée "au milieu de nulle part", heureusement sauvée depuis 1989 grâce au label de "Grand Site National" qui a permis de réhabiliter ce "plus beau havre de France" médiéval...
Les fortifications :
A l'arrivée à Brouage, on est frappés par cette masse imposante de fortifications qui englobent entièrement la ville. On peut parcourir à pied les 2 kilomètres de remparts, recouverts d'herbe, et découvrir ainsi à l'intérieur et en contre-bas les habitations ou les bâtiments militaires, et à l'extérieur les marais, les prairies ou au loin l'océan et ses îles (Aix, Oléron) selon l'orientation.
Ces fortifications furent reconstruites sur ordre de Richelieu à l'emplacement d'enceintes précédentes, lors du siège de La Rochelle, entre 1630 et 1640. Vauban les renforça ensuite, mais c'est Rochefort qui allait supplanter Brouage, délaissée par l'océan qui se retira inexorablement...
Porte et destinées royales :
Côté marais, c'est par la Porte Royale que l'on pénétre dans le village. Achevée en 1631, elle possédait trois portails munis de herses pour en fermer les deux extrémités. A l'époque, tout visiteur subissait de minutieux contrôles, avant de franchir une nouvelle enceinte. Elle contrôlait l'accès au port au moyen d'un pont-levis...
Adossée à cette Porte, une bâtisse abritait les forges royales, et actuellement l'office du tourisme. L'escalier contigu porte le nom de Mancini, cette nièce de Mazarin (gouverneur de Brouage à partir de 1653)que Louis XIV courtisait mais qui fut "orienté" pour des raisons politiques vers l'infante Marie Thérèse d'Espagne ! Racine s'est inspiré des multiples épisodes de cette romance pour écrire Bérénice...
Ville de commerce :
Au pied des remparts du côté nord, s'alignent les hangars, anciens magasins ou ateliers, devenus aujourd'hui boutiques. En face s'élevait le Palais du Gouverneur (dans lequel descendirent Marie Mancini et Louis XIV), qui a disparu, tout comme la majorité des maisons de cette époque.
Placés à proximité du port, les commerçants des hangars pouvaient surveiller le va-et-vient permanent des quais ou le travail dans les marais salants.
Ville de garnison, tournée vers le Canada :
A son apogée, Brouage hébergeait une importante garnison : de 600 hommes en temps de paix, elle avait été agencée pour pouvoir en accueillir 5 000 en temps de guerre. Le bâtiment aux affûts abritait au XVIIème siècle 238 chevaux.
Officiers, cannonniers, arquebusiers aux uniformes chatoyants croisaient dans les rues armuriers, forgerons ou charretiers chez qui s'effectuait l'entretien des armes et du matériel...
L'église Saint-Pierre, construite en 1608, fut remise en état grâce à la générosité de la ville de Québec : en effet, Samuel de Champlain (géographe royal natif de Brouage) réalisa une vingtaine de voyages entre notre pays et la Nouvelle-France, fonda la ville de Québec en 1608, et y mourut en 1635.
La citadelle :
Pour la stabiliser sur les marais, l'architecte d'Argencourt la posa sur un plancher en chêne flottant supportés par des pieux enfoncés dans la vase et englués dans un mortier de chaux. Il le recouvrit de trois rangées de dalles en pierre, cramponnées entre-elles par des éléments en fer.
Le côté extérieur des fortifications (terminées en 1635 et renforcées en 1689) fut réalisé en pierre de taille, et le reste en moellons. Ces remparts comprennent 7 bastions, 19 échauguettes et 7 courtines hautes de 11 à 13 mètres.
Au flanc des bastions, neuf corps de garde flanqués d'un escalier permettant un accès rapide aux remparts abritaient les soldats de garde autour d'un feu et d'un vin chaud pris entre deux tours de ronde...
Les poudrières :
La ville comptait deux poudrières. Celle de Saint-Luc a été réalisée sur ordre de Richelieu en 1627-28, et désaffectée en 1885. Vauban construisit celle de La Brèche en 1692. Cet édifice très esthétique, voûté, construit en pierre et couvert de tuiles, était soutenu par huit arcs-boutants. Il était entouré d'une enceinte de protection afin d'éviter tout risque d'incendie, et fermé par une porte blindée.
Elles pouvaient contenir respectivement 30 et 20 tonnes de poudre. Brouage constituait un centre de stockage et d'approvisionnement pour l'armée Royale, et le commerce de la poudre y était encore très florissant au XVIIIème siècle.
Sa façade est égayée d'un blason surmontant la porte d'entrée, quelque peu abîmé par le temps.
La porte d'Hiers :
Contrairement à la porte Royale à laquelle elle devait ressembler, la porte d'Hiers (du nom de la commune actuellement associée à Brouage) a été entièrement détruite. Un pont sur pilotis permettait le franchissement des fossés pour accéder à la demi-lune éponyme. Le système défensif comprenait une seconde porte gardée par deux sentinelles, et une succession de ponts fixes ou à travées mobiles conduisaient à l'extérieur de la citadelle.
Sur les murs mitoyens de cette porte, comme en quelques autres endroits de la ville, on peut apercevoir un grand nombre de graffitis à tout jamais gravés dans la pierre : noms, visages, plans, bateaux, blasons... font référence à l'univers quotidien des soldats et à leurs rêves d'évasion !...
La glacière :
Garnison Royale tenue par le Gouverneur, duc de Richelieu, Brouage se devait d'offrir à ses hôtes un luxe digne de leurs rangs... La glacière permettait ainsi d'améliorer l'ordinaire en offrant aux invité de marque des entremets ou des sorbets. Elle fut construite en 1688, remaniée en 1707 et restaurée en 1994.
L'édifice, composé d'un réservoir artificiel semi-enterré de 6,40 m de diamètre et de 4,15 m de hauteur s'ouvrant au nord, couvert de bois ou de roseaux, était protégé des variations climatiques par l'épaisseur du bastion et l'ombre d'un bouquet d'arbres. Les 22 tonnes de glace que l'on pouvait y entreposer servaient également à la préparation des remèdes dans l'hôpital voisin, et sur l'ensemble d'une année il y avait moins de 10 % de déperdition de matière !...
Les ports souterrains :
La ville comptait deux ports souterrains, aménagés sous les remparts, et dont la voûte de pierre était protégée par les bastions de la forteresse. On pouvait y accéder par de courts tunnels ou par une salle sécurisée. Ils possédaient des quais de chargement par lesquels transitaient poudre, hommes ou nourriture.
Les barques qui y accostaient circulaient ensuite sur les canaux et permettaient de ravitailler les ouvrages avancés de la citadelle, ou de charger les navires ancrés en amont du port principal.
Achevés en 1631, ils ont été fermés au XVIIIème siècle et réouverts en 1986 dans le cadre du plan de restauration du site.
La halle aux vivres :
Elle constitue le bâtiment le plus important de la citadelle... Dix piliers centraux soutiennent une double voûte, sur une longueur totale de 54 mètres.
Comme son nom l'indique, elle constituait la réserve à nourriture de la forteresse. Le rez de chaussée pouvait abriter 720 barriques environ, remplies de vin, de bière, de viandes, de poissons salés, etc... Quant à l'étage, on pouvait y stocker jusqu'à 300 tonnes de blé ou de céréales diverses !
Au fil des époques, cette construction servit également de magasin aux fournitures, tonnellerie, travail de la poudre. Cette transformation en poudrière occasionna la destruction de trois rues et d'une vingtaine de demeures autour d'elle...
Ce bâtiment accueille de nos jours le Centre européen d'architecture militaire.
Ombres et lumières :
Avant de devenir cette place militaire importante, Brouage était la capitale européenne de "l'or blanc" : le sel.
Plus important port d'Europe, elle faisait vivre sauniers, mariniers, pêcheurs de morue... Cette cité riche et prospère, qui atteint une population de 4 000 habitants, voyait passer chaque jour jusqu'à 200 bateaux...
Après son apogée militaire, l'océan se retira petit à petit et la vaste baie se combla : les marais salants furent abandonnés, la ville commença à tomber en ruine et de nombreux bâtiments disparurent...
Il fallut attendre 1980 pour que d'importants travaux de restauration soient entrepris...