Suivez-moi aujourd'hui sous le chaud soleil aragonais, dans la région qui compte le plus grand nombre de gorges et de canyons en Europe : la Sierra de Guara. Depuis la France, on peut y accéder par la Vallée d'Aure et le passage de la frontière s'effectue au tunnel d'Aragnouet-Bielsa.
Nous allons démarrer notre périple à la ville médiévale d'Ainsa (2000 habitants), située à un carrefour stratégique de l'Aragon : axe France-Espagne d'une part (longeant la rivière Cinca), puis axe pyrénéen est-ouest d'autre part. Cette localité possède l'une des plus belles places espagnoles... Nous y reviendrons !...
Par une petite route sinueuse nous atteignons le village de Guaso, dont les maisons, éclatées en plusieurs quartiers distants, s'étagent au soleil sur la colline. La bourgade est dominée par son église du XIIème s, alors qu'à l'arrière plan se devine la masse caractéristique de la Peña Montañesa (2291 m)...
Dans ce secteur, les villages sont situés sur les hauteurs, et de tous temps leurs habitants on dû aller à la quête de l'eau dans les bas-fonds des vallées. Cette denrée fort rare dans ce pays particulièrement aride était choyée, comme l'illustre cette fontaine-abreuvoir-lavoir si joliment restaurée...
Les ruisseaux sont très rares dans cette zone, et quand ils existent ils ne sont qu'intermittents, se trouvant à sec une grande partie de l'année ! Par ailleurs, les premières terres qui les bordent, monticules de sols marneux de couleur gris-bleu s'érodant facilement, sont impropres à toute culture...
Voici un paysage typique de la zone valléenne : des collines couvertes d'une maigre forêt, un vaste lit de cailloux abritant quelques flaques d'eau croupie, des monticules de marnes bleutées ravinées. Seules, les rares terres à peu près horizontales sont cultivées...
Les champs les plus grands présentent encore un certain intérêt, mais il faut qu'ils soient accessibles aux tracteurs et machines agricoles ! Par contre, la majorité des fermes de l'endroit sont en ruines : l'Aragon est la province espagnole qui compte le plus grand nombre de hameaux ou villages entièrement abandonnés...
Malgré la pauvreté de son sol et son isolement, cette région a été habitée depuis l'époque préhistorique. Le donjon (XIème siècle) en ruine de la principale localité, Arcusa (35 habitants), symbolise la résistance des populations locales aux différentes invasions, et notamment celle des Maures...
La vie fut très rude sur un tel territoire ; toutefois, les Anciens ont légué d'imposantes et superbes bâtisses en pierres du pays qui n'ont pu être acquises que grâce à un travail harassant et ingrat. Le rez de chaussée, autrefois réservé aux animaux, se gagne par une large porte conçue pour laisser pénétrer les charrettes...
Ces habitations typiques, sont surmontées par de solides et originales cheminées circulaires, légèrement coniques. Construites en pierres issues des carrières locales, elles sont couvertes par un petit toit systématiquement surmonté par un "espantabrujas", c'est à dire un "chasse-sorcières"...
Après Arcusa, la route serpente sur un plateau particulièrement sec et franchit le col de Eripol en longeant de nombreux ravins. Arrivés à Almazorre, la vue s'ouvre enfin et on devine au loin l'échancrure de la gorge du río Vero qui tranche avec le vert sombre de la végétation...
A l'entrée de la gorge, un belvédère facilement accessible offre vers l'aval une vue époustouflante sur la partie supérieure de ce spectaculaire canyon ! Les hautes falaises de calcaire joliment coloré contrastent avec le fond du "barranco" où coule le río Vero...
Si l'on se retourne vers l'amont, on devine le lit du río Vero parfaitement à sec : en effet, né au pied des Pyrénées, l'eau abondante que lui fournissent les montagnes ne parvient que rarement jusqu'ici : de nombreuses pertes jalonnent son parcours ! Heureusement, une source pérenne (située au niveau du premier bouquet de peupliers) alimente le torrent...
En face, la garrigue typique de la Sierra de Guara abrite deux petits villages (Lecina et Bertoz) desservis par une route en cul de sac. Si ces deux bourgades ont difficilement résisté, c'est grâce à l'apport du canyoning développé dans les années 80 ! Derrière la montagne, plusieurs petites localités ont été depuis longtemps désertées...
Les falaises du secteur de Lecina sont percées de multiples cavités, difficilement accessibles par des sentiers très aériens ! Certaines d'entre elles abritent des peintures rupestres, protégées du vandalisme par de solides grilles que l'on devine à l'entrée de quelques grottes...
Les plateaux qui s'étalent sur les rebords des gorges constituent un véritable lapiaz (ou lapiez). Ce sol se caractérise par des crevasses de taille variable, creusées par les eaux de ruissellement dans le calcaire dur, très déchiquetées et aux aspérités particulièrement coupantes...
Cette formation géologique particulière s'explique par la présence, à la fin de l'ère secondaire, d'une mer peu profonde. Des sédiments s'y sont déposés, ce qui justifie la présence de fossiles caractéristiques des lagunes : les nummulites, coquillages de la taille d'un gros grain de riz...
Au cours de l'ère tertiaire, un mouvement de soulèvement a provoqué torsions, plissements et fractures. La fin du canyon du río Vero est particulièrement tourmentée comme l'illustre cette photo prise vers l'ouest depuis le col de San Capracio (800 m). On devine en bordure de falaise, sur le fond à gauche, le château-collégiale du village d'Alquezar terme de ce voyage...
Changement total de décor quand on franchit le col en basculant vers l'est : plus de rebords de falaises acérés, mais au contraire un relief (toujours composé de gorges étroites) très arrondi à dominante rouge-marron. Avec sur la droite le pont que l'on atteindra après une longue série de virages...
Nous parcourons maintenant un paysage à base de conglomérat, ici composé essentiellement de galets aux formes arrondies : les poudingues. Ces roches détritiques, d'origine sédimentaire, sont composées de morceaux parfaitement reconnaissables et liés entre eux par un ciment naturel...
La route n'en finit pas d'enchaîner les virages au milieu d'une zone désertique quand se présente le pont des Gargantas, qui jette son arche unique au-dessus du ravin du Fornocal. Les anciens du secteur assurent qu'il en a vu passer du "trafic" ce pont, à une époque où les échanges entre France et Espagne étaient très restrictifs !
La vue sur la partie basse du canyon du Fornocal est spectaculaire, et le río qui l'a creusé est souvent à sec, ne proposant en été que quelques vasques d'eau croupie. Il a pourtant du charme, ce "barranco" avec ses barres rocheuses dominant d'épais fourrés, ses fenêtres naturelles, sa gorge étroite et souvent tortueuse, ses vires et corniches aériennes, ses dalles de poudingue fortement inclinées, et son sentier de retour scabreux...
En continuant, les gorges s'estompent pour laisser place à ne nombreuses terrasses occupées par des amandiers et des oliviers. Nous sommes en effet dans l'une des rares régions d'Espagne où l'olivier pousse au-dessus de 800 m d'altitude ! Cueillies entre décembre et mars, les olives sont pressées au moulin local pour obtenir la couleur vert-doré de l'huile vierge.
Dominant cette marée verte, nous atteignons le village de Colungo, célèbre pour son eau de vie ancestrale, l'anis "el mejor del mundo" ! Cette production est longtemps restée clandestine, et ce sont les grand-mères de la localité qui allaient distiller les fruits à l'eau de source dans une grotte reculée à l'écart des habitations...
La descente continue au milieu des oliveraies, et nous retrouvons le cours du río Vero qui s'est bien assagi au sortir de ses gorges. Il est enjambé par le magnifique pont (dit "romain", mais comprendre de style roman) qui n'est plus utilisé que par les randonneurs souhaitant se rendre au village de Buera.
Abandonnant la relative fraîcheur des berges du río, une toute nouvelle route nous conduit à l'étape du jour : le superbe village d'Alquezar (201 habitants) ! Le site est grandiose, deux des côtés du village étant limités par les impressionnantes falaises des canyons. Quant au village qui a bénéficié d'une restauration importante, il aligne ses maisons typiques sous les remparts du château-collégiale qui a supporté les vicissitudes de l'histoire...