La ville de Sorèze est implantée au pied de la Montagne Noire, à son extrémité ouest et sur la façade tarnaise. Pour s'y rendre depuis le coeur du département il faut franchir plusieurs cours d'eau. Or, ce matin-là, toutes les vallées tarnaises étaient recouvertes d'un épais brouillard...
Ce qui fait que, pour passer d'une vallée à l'autre, tantôt on se retrouvait enseveli dans la brume, tantôt on émergeait au-dessus !
Cette alternance "purée de pois" et soleil levant s'est répétée six ou sept fois sur les 50 km du trajet... Au loin, à 200 km environ à vol d'oiseau, se profile très distinctement la chaîne enneigée des Pyrénées : cette apparition au demeurant sympathique est pourtant signe de mauvais temps pour les jours suivants. Dommage pour ces belles couleurs automnales rehaussées par les premiers rayons...
Arrivés aux portes de Sorèze, un grand parking se propose d'accueillir le véhicule le temps de la randonnée. L'objectif en est vue, même s'il est à contre-jour en ce début de matinée : il s'agit de la colline de Berniquaut qui se dresse face au parc de stationnement.
Du parking, il faut suivre une petite route qui permet de dépasser les dernières maisons disséminées dans la campagne. Après quelques sept cent mètres, un chemin de terre tracé au milieu d'une forêt de feuillus part à l'assaut de la colline. D'un lacet à l'autre, au travers des branchages effeuillés, on aperçoit subrepticement le clocher Saint-Michel qui domine les vieilles maisons soréziennes.
Après quelques trois-quarts d'heure de grimpette à l'ombre et dans l'humidité du matin, l'objectif est quasiment atteint, et 300 mètres de dénivelée ont été franchis... En se retournant, on a un large panorama sur la vallée du Sor en partie couverte de brume, alors qu'au-delà de la masse nuageuse le bourg rural de Puylaurens (patrie méconnue de notre Marianne nationale...) brille sous les rayons du soleil.
Le site de Bernicaut se caractérise par une crête rocheuse étroite, culminant à 568 mètres d'altitude, et limitée à l'est comme à l'ouest par deux vallées encaissées. C'est cet éperon rocheux qui a accueilli de - 30 000 ans jusqu'au XIIème siècle les premiers habitants du secteur, et tous leurs successeurs...
Arrivé sur l'arête de la croupe, une boucle permet d'effectuer le tour complet du site. Premier objectif atteindre le haut du promontoire, et franchir des rochers lessivés par la pluie de la veille avec des semelles incrustées de boue ce n'est pas évident. Mais on peut toujours se dire que cela aurait été pire dans le sens de la descente...
Ce qui frappe en débouchant à proximité de la borne géodésique sommitale, c'est le panorama qui s'offre à nous malgré les bancs de brume occultant les fonds de vallée, avec notamment à l'ouest le bassin de St Ferréol (retenue qui alimente le Canal du Midi) et largement au-delà les sommets des Pyrénées bien mis en valeur par l'éclairage matinal.
Beaucoup plus près de nous, en contrebas, se nichent les deux bourgs qui ont été créés par les populations dès l'abandon de leur habitat perché. Au sud-ouest, juste en contrebas et donnant l'impression d'être vu d'avion, le village encaissé de Durfort dans lequel résonnent les marteaux de ses dinandiers.
Au nord, s'étalant dans la plaine, et toujours à nos pieds, la ville de Sorèze où se distingue notamment la masse imposante de l'ancienne abbaye-école, reconnue école militaire, l'une des douze mises en place par Louis XIV et qui a accueilli par la suite des élèves prestigieux...
Après avoir scruté au loin, il ne reste plus qu'à regarder autour de ses pieds pour essayer d'apercevoir des traces des habitats anciens (car nous sommes sur un site classé monument historique). Tout d'abord quelques grottes ou abris sous roche qui ont hébergé des populations préhistoriques, à l'origine voilà plus de 30 000 ans, puis au néolithique, enfin à l'âge du bronze.
Ensuite, au milieu des rochers et envahis de végétation, il faut déceler les vestiges des anciennes constructions qui n'ont pas encore été l'objet de fouilles approfondies. Ce secteur surélevé aux défenses naturelles a accueilli l'oppidum pré-romain de Verdunus, une forteresse carolingienne, et le bourg médiéval de Brunichellis (Xème au XIIème siècle), avant d'être abandonné aux moutons...
En poursuivant la balade sur le faîte de cette montagne au passé particulièrement riche, on atteint un rebord de falaise qui domine une impressionnante carrière en activité, le bruit et la poussière en attestent. Comme en de nombreux autres endroits de la Montagne Noire, cette société exploite depuis 1973 un gisement de calcaire dolimitique.
Chaque année ce sont en moyenne 500 000 tonnes de roches massives qui en sont extraites, et les responsables du site assurent prendre toutes les mesures de protection nécessaires... En effet, cette extraction est réalisée à l'intérieur du Parc Naturel du Haut-Languedoc, et à proximité de 3 ZNIEFF (Zone Naturelle d'Intérêt Écologique, Faunistique et Floristique)...
Après ce point de vue, le sentier quitte la crête pour partir à flanc sur le versant nord-est, en léger contrebas par rapport à la crête sommitale. C'est sur cette portion que vont se concentrer les vestiges les plus significatifs des habitats anciens, objets de fouilles depuis 1970.
Le parcours étant agrémenté de panneaux explicatifs (qui n'ont souffert d'aucune dégradation, chose remarquable par les temps qui courent...), on peut mieux se rendre compte de l'aspect de l'oppidum, puis du castellum, il y a plusieurs siècles de cela...
Pour construire, les Gaulois (des Volques Tectosages ou Rutènes, qui vivaient au sud du Massif central et qui avaient fait d'Albi leur capitale), à partir de 700 avant J.C., ont fait d'une pierre deux coups, si j'ose dire... En prélevant les roches en creusant au pied de la falaise, ils ont créé un fossé qui venait renforcer la défense naturelle que constituait la paroi rocheuse quasi-verticale.
Ils ont complété cela par un système de protection artificiel de 710 mètres de long, constitué d'une levée de terre construite selon les techniques en vigueur à l'époque (nécessitant un nombreux matériel et de gros efforts) : deux murs de pierres sèches stabilisés par des pieux en bois, et remplis de terre.
Cet éperon rocheux aux défenses naturelles certaines n'avait pas été choisi par hasard : situé à la limite de l'Albigeois et du Lauragais, il était à proximité de la voie d'Aquitaine sur la route de l'étain et des centres métallurgiques de la Montagne Noire.
Cet habitat permanent de hauteur bénéficiait donc d'une position stratégique, permettant de contrôler les échanges entre bassin atlantique et méditerranéen. Il fut sollicité et occupé chaque fois que l'insécurité régnait dans notre pays, et notamment lors des invasions barbares...
Si ce lieu était particulièrement sûr, il était également fort inconfortable et d'accès difficile. Les habitants y vivaient essentiellement des activités agricoles et du pastoralisme, mais aussi du commerce et de l'artisanat.
Des pièces diverses retrouvées sur place en attestent : poteries, meules, outils, bijoux. La plupart sont exposées au musée municipal de Sorèze. Ce castrum compta plusieurs centaines d'habitants, et fut totalement abandonné au XIIIème siècle au profit de la plaine...
Cet oppidum est inscrit dans une randonnée plus longue qui permet de découvrir les autres sites liés à l'histoire de la vallée du Sor : castlar de Durfort, château de Roquefort, chapelle de Saint-Jammes, site minier du Causse et grotte du Calel.
Pour aujourd'hui la randonnée s'arrêtera là, après une redescente dans la plaine sorézienne. Cette visite est particulièrement intéressante, tant au niveau patrimonial, archéologique, géologique ou paysager...
En quelque sorte une balade dans l'espace et dans le temps...
Photo : le site de Berniquaut (au loin) depuis le lac de Saint-Ferréol.