Peyrusse le Roc
Ces 2 tours en ruines qui se dressent fièrement sur un piton rocheux sont le symbole du village aveyronnais de Peyrusse le Roc. Étrange destin que celui de ce village qui connut un passé glorieux, fait de richesses et de puissance, pour retomber dans l'oubli et l'isolement au début du XVIIIème siècle...
Si on l'atteint par le sud-est, il propose l'aspect solide d'une modeste bourgade rouergate posée au milieu des prairies et des champs. Seule la masse imposante de l'église, à la taille fort disproportionnée pour un village de seulement 229 habitants, intrigue quelque peu le visiteur qui découvre le site pour la première fois...
Par contre, si on l'aborde en contrebas par le nord-ouest, on se doute en découvrant le nombre de constructions en ruines ou restaurées, que cette localité a eu ses heures de gloire. Toutefois, cette vue écrase le relief, et on ne se doute pas qu'une profonde vallée nous sépare des fermes de l'arrière-plan ou qu'un piton rocheux se cache sous les tours...
Le village de Peyrusse le Roc est situé dans un secteur très vallonné du Rouergue, entre les rivières du Lot et de l'Aveyron, à l'écart des grands axes. On l'atteint après avoir sillonné une succession de petites routes étroites qui sinuent au milieu d'un territoire très verdoyant, ponctué de solides fermes rouergates, où l'activité agricole est très développée...
La formation du nom de Peyrusse découle de l'occitan : peyre, venant du nom "peira" (prononcer "peyro"), signifie "pierre". Et nous le verrons, le secteur n'en manque pas ! Le suffixe "us" y a été rajouté, donnant "Pétrucia" en latin (les habitants s'appellent les Pétruciens). "Le Roc" fut rajouté en 1919, à la demande du préfet de l'Aveyron. Peyrusse le Roc, un nom qui colle bien à la réalité...
Le rebord du parking fleuri qui nous accueille offre un panorama champêtre sur la vallée de la Diège qui se devine en contrebas.
Si ses origines romaines sont avérées, grâce à la présence de mines de plomb argentifère (Jules César la qualifia de "repaire de brigands"), le premier document citant "Pétrucia" indique qu'en 767 Pépin le Bref s'avança en Aquitaine et se rendit maître de Peyrusse qui était la clé de la région.
On pénètre au coeur du village actuel par une porte médiévale, la "Porte du Château du Roy", qui donne accès à une petite rue bordée de jolies maisons en pierre de pays ou à pans de bois et encorbellements, très resserrées. Comme il était souvent d'usage au moyen-âge un caniveau situé au centre de la chaussée draine les eaux de pluie...
On débouche ensuite sur un vaste espace, la Place des 13 vents. Elle est limitée au sud par l'église, et entourée de maisons parmi lesquelles se distingue la mairie avec son toit d'ardoises et ses encadrements de pierre ocre...
L'église paroissiale a été aménagée en 1680 dans les écuries du château royal. Quant au clocher, il constituait l'une des tours de ce même château, qui servit longtemps de prison.
Le château avait été construit au XIIIème siècle, et dans ses murs se tenaient les audiences judiciaires présidées par un juge royal...
La place s'ouvre vers l'est par une autre porte ogivale, surplombant la vallée de l'Audierne qui coule à ses pieds. En face, le versant est occupée par de nombreuses prairies ou champs de céréales que le printemps reverdit : la majorité des fermes du secteur sont tournées traditionnellement vers l'élevage...
A l'extrémité nord de la place une rue dallée nous invite à descendre dans la vallée. S'il subsiste encore quelques maisons paraissant à l'abandon, beaucoup d'entre elles ont été rénovées dans l'esprit du pays et transformées pour la plupart en résidences secondaires...
Nous sortons alors du noyau aménagé du village actuel pour nous retrouver sur des sentiers herbeux. L'un d'eux zigzague au milieu d'anciennes terrasses, autrefois bâties ou cultivées, pour conduire à un belvédère aérien situé sur le rebord méridional de la vallée de l'Audierne...
Ce balcon rudimentairement aménagé domine superbement les deux tours qui constituent de par leur situation l'attrait essentiel du lieu ! Elles sont érigées sur le "Roc del Thaluc", ce piton rocheux haut de 150 mètres qui n'est pas sans rappeler, toutes proportions gardées, le célèbre "Pain de Sucre" brésilien de Rio de Janeiro...
Ces deux tours appartiennent au château inférieur, et une troisième tour est accrochée à mi-paroi côté nord. Ce nid d'aigle est à l'origine de l'implantation d'un habitat dès le XIème s. L'étroitesse de la terrasse sommitale ne pouvait permettre l'édification d'une forteresse assez spacieuse pour accueillir une garnison très importante...
Afin de mieux cerner la configuration de l'ensemble du site, il est indispensable d'accéder sur la plate-forme du piton ! Si l'on ne craint pas trop le vertige tout de même... Car les installations destinées à faciliter l'accès ou assurer la protection sont tout de même relativement sommaires : échelles et mains courantes métalliques, souvent branlantes...
Au pied du piton se devinent entre les branchages, outre sa silhouette, les ruines de divers bâtiments qui montrent l'importance de Peyrusse pendant l'époque féodale.
En effet, en 1270 à la mort du dernier Comte de Toulouse, les droits seigneuriaux reviennent au Roi de France. La localité devient alors le chef-lieu d'une importante circonscription administrative, judiciaire ou fiscale appelée bailliage ou baylie...
Il est temps de poursuivre la visite, et les vestiges qui émergent de la végétation indiquent l'itinéraire à suivre. Leur grand nombre suggère la vie qui devait être celle d'une cité qui jadis abritait plus de 4000 habitants (700 feux de 5 à 6 personnes ont été recensés en 1341)...
En poursuivant la descente vers le fond de la vallée, le sentier passe entre des terrasses aménagées en petits musées de plein air. L'une d'entre elles propose la reconstitution de machines de guerre médiévales, qui reprennent vie lors de certaines animations estivales...
Nous voici maintenant à proximité de l'ancien beffroi du XIIème s., grosse tour rectangulaire isolée, d'une vingtaine de mètres de hauteur, qui servit autrefois de clocher à l'église Notre-Dame de Laval située un peu plus bas au pied du piton rocheux...
En suivant, nous abordons le Tombeau du Roi, mausolée du XIVème s. richement sculpté, découvert par les villageois en 1957 et inscrit aux monuments historiques l'année suivante. L'identité du riche personnage inhumé en ce lieu est encore mystérieuse ; on pense toutefois à un représentant influent du Roi...
Nous voici maintenant au pied du Roc del Thaluc, au niveau des imposantes ruines que nous avons observées précédemment depuis le haut du rocher. Les 2 tours nous dominent de quelques 150 mètres, et l'on apprécie mieux depuis cet endroit le caractère imprenable du château bas...
Les vestiges imposants auxquels nous accédons maintenant sont ceux de l'ancienne église paroissiale (Notre-Dame de Laval), construite à la fin du XIVème s., et désaffectée vers 1680. Cet édifice mesurait 40 m de long pour 20 m de large, et comprenait 12 chapelles latérales de style gothique médiéval...
A l'arrière de l'église, se dresse une haute tour carrée défensive comportant cinq niveaux. Elle est munie de quatre archères, et les fouilles ont permis de dégager un bassin. Elle a été baptisée la synagogue, même si son usage est encore inconnu, en référence sans doute à la présence dans le village d'une population juive à la fin du XIIIème siècle...
Quelques mètres plus bas, un autre édifice conséquent se distingue au milieu des feuillages : il était à l'époque l'hôpital, dit "des anglais". Sa fonction hospitalière a été attestée dès 1213, accueillant malades, pauvres ou pèlerins. Cette construction de 3 étages constitue un important spécimen de l'architecture civile de l'époque...
Sa belle cheminée et ses jolies baies n'ont pas souffert du pillage, malgré un incendie qui l'a ravagé vers 1680. Les murs sont presque intacts, et la cheminée a été remaniée dans les années 60. Depuis, plusieurs autres parties de la bâtisse ont été consolidées...
Nous voici arrivés sur les rives de l'Audierne, qui marque le fond de la vallée, et la limite nord du village médiéval. Le ruisseau roule de grosses eaux inhérentes au printemps pluvieux qui a précédé. Le parcours se poursuit sur la rive droite que l'on atteint en franchissant le Pont du Faubourg...
En se retournant, le site se dévoile dans sa partie inférieure. On distingue alors nettement la forme en "pain de sucre" du piton supportant les deux tours, et l'on devine dans la végatation les éléments que l'on vient d'approcher : beffroi, église, synagogue, hôpital...
En remontant le long du ruisseau sur un petit kilomètre, on atteint un second pont en dos d'âne à l'allure élancée, le Pont du Parayre. On aperçoit les restes d'un des vieux moulins qui jadis jalonnaient le torrent. Un sentier permet de remonter directement vers le belvédère initial...
En revenant sur nos pas pour poursuivre le circuit de découverte, nous trouvons en bordure du ruisseau une bâtisse servant d'abri aux pèlerins qui se rendent vers Saint-Jacques de Compostelle, ainsi qu'une chapelle. Oratoire circulaire au départ, puis reconstruit et agrandi, Notre-Dame de la Piéta abrite une vierge polychrome du XVème siècle...
Il convient maintenant de remonter vers le village actuel, le chemin slalomant au milieu des ruines s'étendant sur une dizaine d'hectares. Peyrusse était une bourgade florissante aux XIIIème et XIVème siècles, et abritait une quarantaine de familles de noblesse, procureurs, notaires, artisans et marchands...
De retour sur le plateau, nous atteignons la Porte de la Barbacane, composée d'une tour à gorge, d'une porte charretière et d'un assomoir. Sur la droite, cette voûte en berceau brisé correspond à une ancienne boutique. Il en existait une vingtaine, alignées, constituant le marché couvert du bourg...
Un jardin médiéval a été reconstitué en bordure du village actuel. Dans des carrés de terre soutenus par des planches ou des branchages entrelacés poussent légumes, fleurs, arbres fruitiers ou herbes arômatiques. L'arrosage est assuré par une source qui jaillit au pied d'une petite paroi rocheuse...
Si beaucoup de maisons ont été restaurées, il reste encore beaucoup de travail à effectuer ! Depuis 1972, l'association "le Bastidou" s'implique dans la réhabilitation et la conservation du village et de ses anciens monuments : fouilles, déblaiements, consolidation, reconstruction...
Sur la route du retour, vers l'ouest, on peut alors repérer quelques-uns des vestiges que l'on a côtoyés : les 2 tours du château bas, les portes de la Barbacane, le marché couvert,... alors que l'imposant clocher de l'église domine le village actuel.
Le déclin de l'ancien Peyrusse a commencé en 1719, quand la ville a perdu son bailliage et s'est vidée de ses nobles...